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Photo du rédacteurIsabelle Garnerone

Barthélémy Toguo expose au Château Fleur de Lisse

Dernière mise à jour : 29 mars

Château Fleur de Lisse accueille Barthélémy Toguo pour une exposition inédite : Chroniques du vivant placée sous le commissariat de Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design, à Bordeaux. Après avoir travaillé, en France, à la Manufacture de Sèvres, et en Chine, à Jingdezhen, les deux capitales de la porcelaine mondiale, c’est aujourd’hui à Malaga, dans le sud de l’Espagne, que l’artiste réalise le décor des amphores destinées à être exposées au château Fleur de Lisse. Il aborde un thème qui lui est cher : celui de l’écologie et de la terre. La terre, mère nourricière qui fait écho au terroir de Saint-Emilion. Rencontre.



Crise des migrants, dérèglements climatiques, pandémies, conflits politiques... vos œuvres conservent en dépit des drames dont elles se font l’écho, une inépuisable foi en la vie. Comment cultivez-vous cette énergie ?

C’est justement de leur propre énergie que mes œuvres se nourrissent. Bien que je traite des sujets sérieux et graves comme les questions migratoires par exemple, je le fais toujours à travers la question des flux. Chacun de nous est traversé, autant que notre monde par ces flux qui nous connectent et qui nous renvoient à notre propre nature. Dans mes œuvres où la vie prend une place considérable, car elle est la base de toute chose, l'identité et la liberté ne sont permises que par ses flux et par l’énergie qui habite chacune des figures et chacun d’entre nous. Cultiver cette énergie, c’est simplement s’en rendre compte et en prendre conscience, car c’est cela la vraie racine de notre humanité.


On dit de vous que vous êtes un artiste boulimique et impatient, un marathonien de l’art, que vous êtes rebelle par nature... et vous, que diriez-vous ?

Rebelle, je ne sais pas. Je pense être avant tout un artiste curieux, qui cherche toujours à connaitre plus de choses, à voir plus de choses, à rencontrer plus de choses. C’est comme cela que mon art se nourrit : de rencontres, de découvertes visuelles, et de travail. Impatient, sans doute, car notre monde n’attend pas.


Peinture, dessin, aquarelle, sculpture, céramique, performances, photos, vidéos... vos œuvres explorent tous les mediums. Comment nourrissez-vous cette liberté pluridisciplinaire ?

Cela m’est venu naturellement. Avec la photographie et la performance, j’ai pu explorer mon corps et le corps humain de manière très différente : physique, charnel, spirituel. Les œuvres que je réalise aujourd’hui sont profondément nourries de ces premiers travaux car elles renvoient directement à la notion de corps physique et d’esprit. Je crois aussi que chaque medium permet d’exprimer au mieux la très grande diversité identitaire, historique, symbolique dans l’idée de culture. Pour moi, tout cela est très lié.


Douze amphores ont été créées pour Château Fleur de Lisse dans le cadre de l'exposition Chroniques du vivant. Photo FB


En tant qu’artiste nomade, toujours en prise directe avec l’actualité mondiale, où créez-vous le mieux ?

Je crée essentiellement dans mon atelier à Paris, mais aussi au Cameroun à la Bandjoun Station. Étant donné que je voyage beaucoup, mes idées me viennent souvent pendant des rencontres hors de mon atelier et, lorsque l’on y réfléchit, la vraie source de mon art, même matérielle, est hors de mon atelier. C’est le cas des ballots de tissus qui composaient mon œuvre au Louvre cette année qui viennent des marchés africains.


En 2021, vous avez été nommé Artiste de l’UNESCO pour la paix, quel message voudriez-vous faire passer aujourd’hui ?

Cette nomination avait été pour moi un moment très important. Elle était une reconnaissance à la fois en tant que citoyen et qu’artiste. L’idée que j’ai voulu mettre en avant à travers mon art est surtout celle de la transmission. La dignité humaine, l’éducation, le respect : tout cela ne vient en réalité que de l’idée de transmission, car c’est grâce à elle que nous pourrons développer des racines et devenir qui l’on est. Notre monde a besoin d’échanges humains, plus que jamais.


Parlez-nous de Bandjoun Station, votre projet culturel au Cameroun qui fête cette année ses dix ans...

Comme vous l’avez dit, Bandjoun Station est un “projet” culturel. Il n’a ni la vocation d’être un musée, ni même une institution culturelle. Je voulais avant tout rassembler en un lieu des personnalités, des techniques, des centres d’intérêt très divers. Voilà pourquoi, notre programme de résidence accueille des ethnologues, des géographes, des historiens, des chorégraphes, des artisans, des médecins, des agronomes, etc. L’ambition ultime de ce projet et de pouvoir traduire l’idée que la création est universelle, mais peut prendre des chemins très différents.

Vous y développez également des projets d’agriculture biologique...

Bandjoun Station, en plus de son programme artistique, a voulu également se donner une mission plus importante encore : préserver son environnement et éduquer ses habitants. À travers notre plantation de café, et notre système d’autosuffisance alimentaire, nous voulons connecter nos résidents et nos habitants au lieu qu’ils occupent. Il se posait notamment un problème sur les graines distribuées à l’agriculteur en Europe : aujourd’hui ils sont devenus dépendants de l’industrie pour gérer leur nouvelle récolte chaque année. Ce phénomène arrive en Afrique avec les graines de maïs et d’haricots, et il nous fallait lutter contre cela : sauver la graine que nos mères gardaient à chaque récolte pour nourrir la prochaine. C’est en cela que nous voudrions être un modèle exemplaire pour les autres citoyens. En prenant conscience de leur habitat, et de leur consommation, les personnes qui viennent à Bandjoun Station apprennent sur le domaine agricole et le domaine de la culture terrestre. Cette relation à la nature et à ses produits était pour moi essentielle dans son dialogue avec l’art.


Dans le cadre du salon BAD+ et de sa programmation l’Art dans la Ville et dans les Vignes, vous exposez à Château Fleur de Lisse des œuvres créées pour l’occasion. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette aventure ?

Je suis très attaché à la notion de patrimoine. La région de Bordeaux, et en particulier le Château Fleur de Lisse représente pour moi une richesse historique très importante. La question des vignes, et du patrimoine écologique est un sujet d’actualité auquel les artistes doivent participer. C’est donc pour moi une grande chance d’investir autant de lieux et de faire vivre à ma manière une terre chargée d’histoire.


Les amphores attendent leur tout pour passer au four à haute température. Photo HdM GALLERY

Les amphores prennent place dans le chai d'élevage de Château Fleur de Lisse PhotoFrançois Blazquez


Est-ce que le fait que le vignoble soit conduit en biodynamie a fait écho à votre fibre écologique ?

Tout à fait, cela rejoint la mission que je m’étais donné au Cameroun de pouvoir valoriser à la fois scientifiquement et esthétiquement un lieu de culture agricole. Faire ce choix écologique, c’est s’intéresser non seulement à la terre mais aussi la vie sociale et économique qui s’en est nourri, c’est donc un sujet d’éducation et de savoir de premier plan aujourd’hui.


Le choix du support s’est dirigé vers des amphores... pour quelle raison ?

J’ai toujours été sensible aux travaux proches de la céramique ancienne : les vases, les assiettes, etc... L’amphore a cette particularité de renvoyer esthétiquement à son utilisation technique : conserver son contenu. Anciennement, elles étaient attachées pour de longs trajets à travers la mer ou la route. Cette forme et cette histoire me fascinaient car c’est un objet qui renvoie directement au voyage qu’il a effectué.







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